Michel Onfray : ANIMA
Le Bal de la pensée occidentale selon Michel Onfray
Dans un avenir plein d’incertitudes et d’âmes désincarnées, le philosophe et essayiste, Michel ONFRAY, revient sur l’histoire de l’âme à travers les millénaires. Anima est le 1er volume d’une réflexion philosophique construite comme un roman policier ou enquête philosophique. Pourquoi la connaissance de la genèse de notre âme est-elle nécessaire pour survivre mentalement et physiquement dans notre monde moderne et celui à venir ?
Par Estelle GUEÏ
Anima, ou le passé et l’avenir de l’Homme
Anima est le premier volume d’une réflexion consacrée à l’Homme. Construit comme une enquête ou un roman policier philosophique dont l’action se déroulerait pendant des siècles, Anima, met en scène 2 protagonistes bien distincts : l’homme et son âme. Cette dernière se serait perdue au cours des millénaires.
Pour retrouver son âme, l’auteur nous emporte dans son cerveau labyrinthique, où de nombreuses interrogations et observations se croisent et se décroisent.
ONFRAY dissèque ainsi comme sous la lamelle de verre d’un microscope, l’évolution de l’homme à travers les millénaires. Pour cela il s’intéresse à sa dimension sociale, philosophique, religieuse, politique et économique. Anima est truffé d’anecdotes concernant la vie intime des philosophes, de réflexions plus contemporaines, comme la proportion des hommes à polluer non seulement la terre (leur habitat naturel) mais aussi les territoires qu’ils s’échinent à conquérir au détriment de la nature et du respect de l’espèce humaine.
En effet, avec son humour tout particulier, l’auteur nous interpelle sur la proportion de l’homme à saloper son monde, même lors de la conquête de la lune : « Que font les Américains une fois cette incroyable prouesse technique accomplie ? Quel est le premier geste du premier homme qui foule le sol lunaire ? (…) un sac d’ordures de 30 kg qu’Armstrong balance sur la planète. Le premier geste du premier homme qui pour la première fois quitte sa planète et pour la première fois met les pieds sur une autre planète du système solaire est donc une profanation dans le genre américain : tant d’intelligence pour retrouver le geste primitif du mammifère qui marque son territoire avec ses déchets, ses déjections, ses sacs d’urine, d’excréments et de vomi. »
Et de conclure avec brio : « Si le premier geste de l’astronaute est de souiller sa couche avec son urine comme un mâle dominant qui marque son territoire, on peut aisément imaginer la barbarie civilisationnelle dans laquelle nous évoluons. »
Malgré les phrases et concepts parfois un peu techniques à saisir pour les novices, (lire un livre d’ONFRAY se mérite !) on se surprend à sourire et même à rire !
Fidèle à lui-même et à ses idées (obsessions ?), l’auteur donne le ton de son roman et annonce la couleur : l’émergence d’une nouvelle civilisation, mort de l’homme et avènement du transhumanisme vers l’âme numérique.
Pour développer sa thèse (fin de l’humanisme) ONFRAY l’articule sous forme de tryptique :
- Construction
- Déconstruction
- Destruction.
A noter, que le rythme de lecture d’Anima est assez étrange et déstabilisant. En effet, le sommaire se déroule sur 13 pages, chaque chapitre étant rigoureusement étayé d’un titre, d’un sous-titre et de courtes phrases qui résument le déroulé de la réflexion du philosophe ! (lire le livre Anima: Vie et mort de l’âme – Michel Onfray)
L’âme noyée dans le plurivers
Selon Michel ONFRAY, notre univers côtoierait un nombre infini d’autres univers, « d’univers multiples », « de mondes et d’intermondes », comme le prouve la présence d’exoplanètes ou d’autres formes de vie révélées au fil des découvertes scientifiques. Notre système solaire est comme un grain de sable dans cette infinitude de mondes. Est-ce pour cela que l’attitude de l’homme contemporain devrait nous inquiéter ? D’autant plus que la lecture qu’il se fait de la race humaine n’est pas tendre : « l’homme contemporain se trouve déséquilibré, désaxé, détraqué, désorienté, décomposé, démembré, dérouté, décontenancé, dépaysé, détourné, déconcerté, désorganisé, en un mot, démonté »
Anima fait ainsi émerger une dualité. D’un côté le monde spatial et temporel et de l’autre, un univers intemporel et illimité.
Entre l’intelligence divine et l’intelligence artificielle, où se situe l’âme humaine ? Quel est le sens de notre existence ? A quoi sert l’humanité ? Pourquoi est-ce si essentiel de préserver notre âme ?
Pour nous accompagner dans notre réflexion métaphysique, ONFRAY, revient aux origines de la vie et donc de la mort selon le questionnement socratique ou celui des rites Égyptiens. Sous sa plume la mort serait « un passage » entre ces deux mondes (le temporel et l’intemporel) au moment où l’âme du défunt monterait au ciel.
Avec poésie et philosophie, Michel ONFRAY dépeint ce « trait d’union » entre le monde sensible et le monde intelligible (subtil), l’arrière-monde. Sorte de fragment céleste entre l’ici-bas et l’au-delà….
Dans cette réflexion métaphysique, Michel ONFRAY prend l’exemple de PLOTIN* (205 – 270 apr. J.-C, philosophe gréco-romain), qui avait honte d’être dans un corps et détestait son enveloppe corporelle. Il le méprisait à un tel point qu’il n’entretenait pas son corps qui ressemblait à une vaste plaie purulente.
Dans cette même idée de destruction physique, PLATON* (né en 428 / 427 av. J.-C. mort en 348 / 347 av. J.-C, philosophe antique de la Grèce classique) enseignait déjà la nécessité d’une ascèse purificatrice alors qu’il était lui-même amateur de jeunes garçons et de banquets comme l’explique l’auteur d’Anima.
En partant du constat que PLATON ne pratiquait pas ce qu’il professait, ONFRAY fustige la religion catholique dont il remet en doute la logique et la mystique à travers les millénaires. En effet, selon Michel ONFRAY, cette quête philosophique de purification totale ; de lutte contre les plaisirs de la chair ; de noyer les désirs et les passions, représentent un danger pour l’avenir de l’homme.
Notre matière tue, notre âme sauve. Il faut mépriser la première et célébrer la seconde, d’où le travail de purification: la haine du corps
Ce fantasme d’idéaliser la vie cadavérique pour sauver l’âme et faire disparaître le corps, mène tout simplement à la disparition de notre être et de notre âme. N’est-ce pas d’ailleurs le cas, lorsque nous admirons, tel un gourou, le cofondateur d’Open AI, Sam ALTMAN, dont le rêve est de remplacer l’intelligence humaine par l’intelligence artificielle, en prétextant lui faciliter la tâche (moins on réfléchit, plus on s’abrutit. Le cerveau est un muscle qui a besoin d’être stimulé, entraîné et nourri) ?
Quand on sait qu’ALTMAM est adepte du survivalisme et qu’il vénère un ancien ingénieur et ancien professeur d’école de commerce devenu « moine cyberbouddhiste », Jack KORNFIELD, on se demande comment l’humanité peut faire confiance à un individu aussi « déconnecté de la réalité humaine» (Source Vanity Fair 2/12/23)
Et que penser de ces pro-métavers convaincus que l’avenir de l’homme est de vivre derrière ses écrans, sans bouger de son canapé, en se muant en un avatar, et en se nourrissant d’Uber Eats, quand ce n’est pas de graines… ?
Anima nous interroge : pourquoi vouloir démembrer ou déconstruire le corps humain et numériser l’âme ?
L’importance de créer des mythes sans tomber dans l’incohérence
Jésus est pour ONFRAY une fiction sur laquelle s’est construite la civilisation judéo-chrétienne. Il lit la Bible comme une Divine Comédie. Une mythologie pour domestiquer l’homme et ses pulsions.
L’auteur souligne avec verve, l’ironie et l’incohérence des textes sacrés : « Aucun homme ne saurait survivre à quarante jours dans le désert sans boire ni manger ; mieux, aucun homme ne saurait survivre trente ans, si c’est l’âge de sa mort, sans avoir ingéré autre chose que des symboles – jamais de loukoums, jamais d’agneau grillé, jamais de tajines, jamais de thé à la menthe, ni rien d’excrété (…) aucun homme ne saurait mourir, ressusciter, dîner avec ses amis avant de prendre la route du ciel sur le mode ascensionnel pour y vivre l’éternité auprès de son père… »
Il nous rappelle que les histoires citées dans la Bible (ou dans toute autre religion d’ailleurs) ne sont pas à prendre au pied de la lettre, qu’il s’agit d’une parabole. Les textes doivent être interprétés. C’est au lecteur de comprendre le sens celé.
Selon ONFRAY, la construction d’un mythe sert à dominer et à régenter l’homme, tel un outil pour gouverner les peuples. Le mythe est la meilleure arme des dictateurs comme Hitler, Staline, Mao, Mussolini ou Bokassa, qui n’hésitaient pas à en user pour asseoir leur pouvoir mortifère.
Michel ONFRAY fustige les dogmes ecclésiastiques véhiculés par le Paulinisme* (partisans de la doctrine de saint Paul rassemblant les pauliniens et les augustiniens) : « La religion exige un homme pareil à un cadavre, insensible à tous les coups du sort et détaché de tous les biens du monde. Sans amis, sans épouses, sans enfants, sans père, sans mère digne de ce nom, sans famille. C’est un homme nu que l’homme idéal selon le fils de Joseph et Marie. Cynisme du christianisme qui prône la radicalité : frugalité, ascèse, pauvreté, austérité, abstinence, vivre toute une vie dans une tombe murée. Il va sans dire qu’un christianisme de cet acabit n’a jamais mené sur des vies individuelles épanouies et encore moins à une civilisation ! »
L’Homo Cyber versus Supraterrestre
Comme vous l’aurez compris, l’ascèse conduit l’homme vers le « rien », le néant total. L’ascète s’interdit également de sourire ou de rire, car ces émotions seraient l’apanage des démons. « Une esquisse de sourire peut faire s’effondrer des années d’ascèse et de mortification dans le désert. Rire c’est se relâcher, se détendre, monter les dents comme les animaux, perdre contenance et maîtrise de soi, laisser parler la bête en soi »
Les ascètes pour sauver leur âme, décident de mourir tout en restant en vie. Les ascètes sont asexués (individu qui ne pratique aucune activité sexuelle) pour respecter la parole de saint Paul, comme si elle était celle de Dieu : « Je dis aux célibataires et aux veuves : il est bon de demeurer comme moi. Mais s’ils ne peuvent se contenir, qu’ils se marient : mieux vaut se marier que brûler » (1Co 7, 1-9)
Il est intéressant d’observer combien notre société occidentale en perte de sens, de morale, de repères, semble prôner les valeurs mortifères d’un paulinisme moderne, à coups de «cancel culture», « no kids », «éco-anxiété», idéalisation des « asexués » et des « hybrides » (personnes débridées comme des voitures ???) Nous fabriquons en occident des hommes sans femmes et sans sexualité. Soit deux mille ans d’interdits, de prohibitions et de condamnations !
Anima nous alerte sur « l’Œuvre de névrosés qui ont accouché d’une civilisation pathologiquement malade subissant les foudres de la culpabilité et du péché. »
Alors comment préserver notre âme dans cette jungle cyber-humaine ?
De l’Homo sapiens, à l’Homos habilis, en passant par l’Homo erectus, au Néandertalien à l’Homo cyber, il n’y a qu’un pas !
En revenant à de meilleurs sentiments et à plus de poésie, Michel ONFRAY nous rappelle que le savoir païen nous permettait autrefois de vivre en harmonie avec la nature. En effet, l’homme vivait en osmose avec les éléments naturels qui l’entouraient, le guidaient et le protégeaient indirectement grâce aux cycles lunaires, aux mouvements du Soleil et de la Lune, aux saisons ou encore aux moissons. Le rythme immuable de la vie : naître, croître, décroitre, mourir puis disparaitre. Peut-être réapparaître ?
L’auteur nous enjoint à retrouver cette petite musique intérieure, souvent imperceptible dans nos vies urbaines et matérialistes : « le bruit de l’univers ».
Anima nous rappelle l’importance du bruit du silence qui émet comme une fuite d’air, un petit jet linéaire. Serait-ce cela le bruit de l’univers ?
Un jour, enfant, alors que je n’avais que 5 ans, ma mère me berçait et me chantait une comptine dans sa chambre côté jardin, lorsque soudain je m’écriais:
– Maman tu entends ? Écoute !
– Je n’entends rien. Il n’y a pas de bruit.
– Mais si, écoute !
– Tu as l’oreille fine ma fille, ça doit être le bruit des voitures que tu entends au loin, sur le périphérique. C’est calme ici.
– Nan ! Écoute…écoute. C’est le bruit de l’Univers !
C’était ce fameux son imperceptible, très bas et constant, comme un courant électrique. Grâce au livre de Michel ONFRAY Anima je replonge dans mes souvenirs d’enfants et émotions.
Ma mère était évidemment choquée qu’une enfant de 5 ans puisse utiliser ces termes et manifester des prédispositions spirituelles qu’elle-même ne nourrissait pas…Une fois devenu adulte, c’est plus difficile de prendre conscience de notre âme, d’entendre par exemple « le bruit de l’Univers ».
Pour renouer avec leur âme, perdue dans le tourbillon matérialiste, capitaliste, narcissique, certains ont recours au chamanisme, aux prêtres, aux sorciers ou planchent sur des livres, pour retrouver la mémoire perdue des anciens ….
Et si le sauvetage de notre âme passait par l’observation de la nature et des animaux ? Car à trop jouer les apprentis-sorciers et à se prendre pour Dieu, l’Homme creuse sa propre tombe en sombrant dans la confusion….
Une suite est prévue à Anima. Elle s’appellera Barbarie et sera plus axée sur la Nature.
A propos de l’auteur :
Michel ONFRAY est l’auteur d’une centaine d’ouvrages traduits dans 25 pays, il anime aussi une WebTV michelonfray.com. Il a récemment cofondé avec Stéphane SIMON la revue Front Populaire.