Vivre, Mourir, Renaître
Autopsie d’une histoire d’amour
Un triangle amoureux en proie au virus du VIH, dans les années 90’s, filmé avec poésie et élégance, par Gaël Morel. Quel message se cache derrière le titre énigmatique : Vivre, mourir, renaître ? KissCity Paris vous partage ses impressions !
Par Estelle GUEÏ
Le jeu du triangle amoureux
Le film débute sur une scène typique des années 90’s avec deux jeunes amoureux, Emma (Lou LAMPROS) et Sammy (Théo CHRISTINE) se chauffant lors d’une rave party en banlieue parisienne. D’entrée de jeu, le rythme du film s’impose au spectateur. La caméra plonge dans l’intimité de ce couple fougueux et beau, entre sons électro et ecsta.
Sammy et Emma se font tour à tour embrasser par un jeune homme aux mœurs très ouvertes en pleine rave party.
C’est alors qu’après la soirée, sur le chemin du retour les ramenant à Paris, Sammy confie pudiquement à Emma sa bisexualité. Celle-ci réagit avec aplomb, sur le mode : « Tant que tu ne tombes pas amoureux d’un homme, cela m’excite ! »
Quelques années plus tard, changement de décor. Emma et Sammy se sont mis en couple et ont un enfant. Alors que Sammy bricole dans leur appartement après le boulot (il est conducteur de métro), le voisin du dessous, Cyril (Victor BELMONDO), photographe de profession, frappe à leur porte pour trouver un consensus, car le bruit l’empêche de se concentrer. C’est alors que la vue du jeune homme apparaissant torse nu sur le palier le fait vriller.
Insidieusement, le spectateur comprend que ce nouveau personnage est l’élément perturbateur qui mettra peut-être à mal le couple.
Suite à cette première rencontre entre voisins, un lien original se met en place, par le biais de lettres qu’ils adressent dans leurs boîtes aux lettres respectives pour s’informer des jours de travaux ou de repos.
On sent la fébrilité des doigts lorsque le courrier est décacheté et l’ébullition de leurs cerveaux dans l’attente de ces mots…
Le clin d’œil romantique casse les clichés souvent aperçus au cinéma sur les couples homos. Le début de leur histoire d’amour est tendre, tâtonnant, jusqu’à ce que la fébrilité intellectuelle laisse place à la fébrilité des corps. Les scènes sensuelles sont assez crues sans verser dans la vulgarité. Le réalisateur dose avec subtilité et poésie cet embryonnaire amour, qui se noue sous nos yeux, à une époque où « le cancer gay » faisait des ravages et que les traitements de trithérapie n’existaient pas encore.
Quand aimer tue et que l’art guérit
Malgré l’usage des préservatifs exigé par le photographe séropositif, le drame se noue à l’insu des deux amants. Le réalisateur Gaël MOREL, rend d’ailleurs un hommage au film de Leos CARAX « Mauvais Sang », sorti en 1986, lorsque les deux amants courent dans un même élan, dans les rues de Paris, en quête d’un distributeur de capotes, avec pour arrière fond une chanson de David Bowie « Modern Love ».
C’est amusant de remarquer combien le décor du Paris des nineties semble être intemporel à quelques détails près. Des endroits charmants chargés d’histoire apparaissent, comme la librairie près de la Butte aux Cailles, « Les Oiseaux Rares » ou encore cette fenêtre nimbée de lumière donnant sur la Tour Eiffel.
Sur plusieurs années, on suit l’évolution des 3 personnages, jusqu’à ce que les premiers symptômes de la maladie apparaissent chez Sammy. L’heure est grave car Emma est enceinte de leur second enfant. Celui-ci sera-t-il aussi séropositif ? Emma a-t-elle contracté le virus ? L’hécatombe du SIDA les foudroie en pleine jeunesse…
Cependant, Gaël Morel ne tombe pas dans le cliché du film gay. La mise en scène est emplie de poésie, de suggestions, de douceur de vivre, où la lumière, les éléments naturels, la simplicité des dialogues, les échanges de regards, et la justesse du jeu des acteurs, font corps face aux vicissitudes de l’existence. D’ailleurs, Amanda LEAR y fait notamment quelques apparitions remarquées en tenancière de club branché de la scène parisienne des 90’s.
C’est aussi intéressant de noter que l’affiche du film, aux tons orangée, jaune et rouge, rappelle le courant pictural du fauvisme. Il est aussi amusant de constater que la dernière image de clôture, un plan fixe du portrait d’Emma (aux faux airs de Léa Seydoux), arborant un joli foulard dans les cheveux, rappelle étrangement La Jeune Fille à la perle de Johannes Vermeer !
Vivre, Mourir, Renaître
Sorti en salle le 25 septembre 2024
Durée : 1h49
De Gaël Morel