Il était une fois Michel Legrand
Michel Legrand en musique
Force de travail impressionnante, infatigable créateur, acteur clef du cinéma et de la musique contemporaine, Michel Legrand se dévoile à l’écran sous la caméra du réalisateur David Hertzog Dessites. KissCity Paris vous partage son regard critique du film-documentaire Il était une fois Michel Legrand !
Par Estelle GUEÏ
Publié le 27 Décembre 2024
Un talent Multi Potentiel
Né en 1932 à Paris dans le quartier de Ménilmontant (20ème), au sein d’une famille d’artistes, Michel Legrand, a marqué l’histoire de la musique contemporaine. Compositeur, musicien, pianiste de jazz, chanteur, arrangeur, oscarisé 3 fois pour ses musiques de film aux États-Unis, Michel LEGRAND est un homme-orchestre !
Ce film documentaire, présenté au Festival de Cannes 2024 et réalisé par David HERTZOG DESSITES, est une rétrospective émouvante sur la vie d’un génie de notre siècle. Connu pour ses musiques de films (Les Demoiselles de Rochefort, Peau d’Âne, Les Parapluies de Cherbourg, L’Affaire Thomas Crown…), génériques de dessins animés et émissions TV (Il était une fois la vie, Faîtes entrer l’accusé, Oum le dauphin, La flûte à six Schtroumpfs, …) et chansons (Les Moulins de mon Cœur, La Valse des Lilas, La Jalousie, Le Cinéma…)
Aujourd’hui, l’ensemble de son œuvre est gravé dans l’inconscient collectif, dans la postérité, à jamais.
En 1h49, Il était une fois Michel Legrand joue un rôle testamentaire auprès de toutes les générations en quête de sens, de beau et de mythes fondateurs.
Cependant, cet hommage cinématographique est loin d’être lisse ou conformiste. En effet, le spectateur découvre un portrait contrasté d’un personnage avec ses forces et ses faiblesses, ses qualités et ses défauts, ses doutes, ses peurs, ses difficultés et ses victoires. Loin de la vision manichéenne post-mortem, Il était une fois Michel Legrand, nous interroge aussi sur le sens de la vie et la façon dont nos passions peuvent transcender les capacités d’un individu
Sous nos yeux, la vie de Michel Legrand prend forme grâce aux témoignages de personnes qui l’ont côtoyées comme le chanteur Sting qui loue la spécificité de son écriture, de ses compositions qui sonnent si « french ». Des extraits de concerts, bobines de films, interviews apportent une dimension intime au documentaire. On apprend ainsi que l’ancien élève de la grande professeure de piano, Nadia BOULANGER, n’a pas reçu son diplôme pour garder Michel et continuer à le former, à l’encourager pour se dépasser. Virtuose dès le plus jeune âge, Michel Legrand est fasciné par le jazz. Il court les concerts de Dizzy GILLESPIE ou du chanteur, trompettiste et compositeur américain, Miles DAVIS.
Cette rencontre sera décisive et changera sa vie à l’âge de 21 ans. Un tournant artistique majeur qui l’entraîne, en 1958, à New-York, (avant les hauteurs d’Hollywood), pour enregistrer aux côtés des plus grands maîtres du jazz moderne : Bill EVANS, Miles DAVIS et John COLTRANE Legrand Jazz.
Toujours sous le regard des spectateurs, Michel LEGRAND évolue. On le voit « travailler comme un forçat » sur sa table de travail pour composer des musiques de films, écrire des chansons. Il est entouré de gommes, de crayons à papier, d’un taille-crayon électrique et de papier à musique…
Ces images intimes d’un homme passionné, en plein processus de création, donne des frissons.
Les gestes de Michel Legrand pour écrire et composer frisent presque la liturgie. Une concentration quasi déique…
Ce documentaire laisse sans voix, et nous donne envie de nous surpasser. De donner le meilleur de soi-même pour exceller dans sa passion. Sans relâche. D’ailleurs, le propre des multi potentiels, n’est-il pas de ne jamais s’enfermer dans une seule discipline ? Raison pour laquelle Michel LEGRAND s’évertuait à toujours se challenger, à se surpasser, apprendre, comprendre et partager au plus grand nombre son amour de la musique et de l’écriture (dans sa chambre trônait une table de montage pour pouvoir composer et imaginer des scènes de films pendant la nuit ou au saut du lit).
Son exceptionnel talent lui a permis de côtoyer et de travailler à l’international, avec les plus grands noms : Stan GETZ, Claude NOUGARO, Catherine DENEUVE, Orson WELLES, Jacques DEMY, Charles AZNAVOUR, Barbra STREISAND ou encore Natalie DESSAY.
Homme avant-gardiste et disruptif pour son époque, Michel LEGRAND n’avait pas sa langue dans la poche.
Face à un journaliste qui le suit en coulisse et lui demande : «Quel film restera dans la postérité ?» Michel LEGRAND lui répond face caméra, avec un mélange de candeur et de brutalité matinée de bougonnerie : «Vous savez-quoi ? La vérité c’est que la postérité je m’en tamponne !»
Animé par une incroyable énergie, sa force de travail et sa créativité étaient légendaires. Tout autant que ses coups de colère semblables à des averses. Guidé par une exigence démesurée, Michel LEGRAND était exigeant aussi bien envers lui-même, qu’avec les membres de son équipe. Et ses coups de colère tout autant. « Un grand sentimental » comme l’explique son épouse, l’actrice et écrivaine, Macha MÉRIL. L’un de ses moteurs était notamment le besoin de « travailler dans l’urgence » et de s’investir dans « mille projets » pour contrer sa peur de la mort…
Un homme guidé par la spiritualité et la quête de sens
Oscar WILDE écrivait : “ Votre art, ce fut votre vie. Vous vous êtes mis vous-même en musique. Vos jours sont vos sonnets. ” (Le Portrait de Dorian Gray,1890). À l’image de cet écrivain hors-norme inspirant, Michel LEGRAND s’est forgé son propre destin ! Celui d’un homme reconnu par ses pairs, comme « un architecte de la musique », dont les compositions sont « synonymes d’émotions ».
Malgré le succès, Michel LEGRAND tombe dans une sévère dépression à la quarantaine, alors qu’il conquiert Hollywood, et habite avec sa famille dans une magnifique villa de Beverly Hills, avec piscine et terrain de tennis. En effet, en 1972 la musique originale du film américain « Un été 42 » est oscarisée, pourtant Michel LEGRAND ne récupère pas le trophée. Hospitalisé, l’homme-orchestre, forcené de travail et de projets, semble soudain perdre le goût de la vie. Bourré de cachet, en pleine ascension américaine, c’est un moulin en Normandie qui lui sauvera la vie. Retour en France. Il y retrouve ses amis : Catherine Deneuve, Claude NOUGARO, Serge REGGIANI, Nana MOUSKOURI, Yves MONTAND, Jean-Paul RAPPENEAU….Les projets affluent. Michel revit !
Dans le moulin qu’il a acheté, Michel compose, écrit de la musique et chante. L’inspiration lui revient. Il arrête d’avaler ses dizaines de pilules et la soif de vivre ressurgit. On l’entend s’exclamer en revenant de la scène d’un concert survolté : « J’ai adoré ! Je me suis amusé comme un bébé ! » Les larmes nous viennent aux yeux instantanément.
Michel LEGRAND faisait souvent référence à l’enfance et à l’invisible ; croyant aux synchronicités, dans la mesure où les hasards de la vie, les rencontres fortuites, seraient des moyens de nous guider dans notre quête personnelle.
Ainsi, celui qui aimait « travailler à l’ancienne » et jouer à la balançoire entre deux séances d’écriture, croyait aux forces de l’invisible, tout comme l’ancien président, François MITTERRAND.
Dans le reportage, Michel LEGRAND se confie : «Parfois, j’ai la sensation de composer et d’écrire comme si des entités me guidaient ! »
Alors, serait-ce la perte de spiritualité et de sens qui auraient provoqué sa dépression aux USA, dans un mode autocentré, ou l’ego trip et le consumérisme sont rois ?
Mourir sur scène
A l’instar du tube de Dalida, les spectateurs assistent à la terrible prophétie. Dans un dernier baroud d’honneur, la légende vivante de la musique de films et de la chanson française, Michel LEGRAND, donne une dernière fois le meilleur de lui-même, sur la scène de La Philharmonie de Paris. Ses amis, sa famille, les médias et son public sont tous présents. Une dernière fois. On le voit alors littéralement mourir avec la baguette du chef d’orchestre à la main…C’est le 26 Janvier 2019 que Michel LEGRAND tirera sa révérence, à l’âge de 86 ans. Vous l’aurez compris les KissCiteurs, ce documentaire est bouleversant. Prévoyez des « mouchoirs » comme aurait dit Michel !
✍️ Conclusion personnelle :
Le film-documentaire « Il était une fois Michel Legrand » m’a aussi rappelé un grand homme passionné par son métier, exigeant, cabotin, un peu comédien, attaché au monde de l’enfance : « Selon moi, l’homme passe directement de l’enfance à la vieillesse. J’affirme, bien que tout fasse penser le contraire, que je suis encore un enfant!» G.R.
Et si c’était cela la clef de l’éternité ? La passion ? L’amour ? L’enfance ? L’amitié ? Et surtout, cette formidable envie de ne jamais abandonner l’idée de vouloir atteindre la perfection, même du bout des doigts ? Michel LEGRAND est entré dans la postérité en touchant l’excellence du bout de sa baguette magique d’homme-orchestre !
Ce documentaire puissamment inspirant nous dévoile les forces et les faiblesses d’un homme qui n’avait pas forcément confiance en lui, qui redoutait la mort, et s’évertuait à mettre en musique tous ces moments indicibles de la vie !
Personnellement, j’ai trouvé que ce film transcende l’âme et redonne du sens et de la magie à la vie. Comme si parmi les étoiles, Michel LEGRAND était porteur d’un message d’espoir, pour nous transmettre sa passion musicale et ses valeurs, pour qu’en chacun de nous le goût de l’excellence éclot. Un enchantement…