Écrire par Eudes Séméria
Quel est le point commun entre son enfant intérieur, l’écriture et la vie des écrivains ? La psychologie humaine ! A travers cet essai fascinant, le psychologue-clinicien, Eudes Séméria, décortique le process psychologique à l’origine du désir d’écrire. Loin d’être rébarbatif Écrire nous entraîne à la rencontre de nous-même !
Par Estelle GUEÏ
«Nulla dies sine linea»*
Traduit en plusieurs langues, du français, au coréen, au polonais, en passant par l’allemand, Eudes DEMARIA, fait partie de ces auteurs qui se sont révélés auprès du grand public sur le tard. Un temps nécessaire pour affronter les angoisses liées à l’écriture : peur de la page blanche, solitude, croyances limitantes liées à l’enfance, recherche de la perfection, collectes d’informations ou expériences…Éminent psychothérapeute et ancien vice-président de l’Association française de psychologie existentielles, Eudes SEMERIA est devenu un auteur à succès dont les nombreux ouvrages sont consacrés aux situations douloureuses et aux troubles.
Son 1er ouvrage publié aux éditions Albin Michel, en 2018, « Le harcèlement fusionnel : les ressorts cachés de la dépendance affective » est le premier d’une longue série sur la thématique de la compréhension de soi. Suivra en 2019 « Les pensées qui font maigrir », puis en 2021 « Les quatre peurs qui nous empêchent de vivre ». Ce dernier reçoit le Prix Psychologies/FNAC.
Plus que des livres, Eudes SÉMÉRIA nous propose de véritables outils inédits, pour nous aider à surmonter nos blocages, à retrouver le sens de notre vie et affronter les épreuves traumatisantes.
Ses productions littéraires loin d’être techniques et ennuyeuses, sont agrémentées de schémas, anecdotes, exercices pratiques, témoignages recueillis lors de ses conférences et rencontres.
A la lecture de son nouvel ouvrage consacré à l’écriture, on sent qu’Eudes a pris le temps d’amasser un matériau unique de qualité sur des décennies avant de nous dévoiler les coulisses de la création du génie littéraire ou de la psyché humaine…
Les écrivains en herbe lassés des ateliers d’écriture et des manuels redondants, seront servis par ce bel objet au format presque de poche, où un chat noir ronronne près d’une tasse de café, d’un livre, d’un cahier et d’un stylo. Pas d’écran Ipad, ni d’ordinateur.
On découvre l’univers des écrivains dans le plus simple des appareils.
Le ton est donné dès l’introduction, où il cite la romancière et essayiste nantaise, Julia KERNINON pour comprendre ce qui l’a amenée à écrire et quel est son processus créatif. Naît-on écrivain ? Faut-il des capacités cognitives particulières pour devenir un futur BAUDELAIRE ou une Marguerite DURAS ? Quelles sont les différentes étapes et épreuves à affronter avant de se lancer en écriture ? Comment se construit un roman ? Quels sont les liens entre les héros et leurs créateurs ? Pourquoi le schéma narratif d’une œuvre rencontre aussi le schéma narratif de l’auteur ? De quelle manière peut-on accéder à une créativité supérieure à la moyenne ? Comment se déclinent les phases de la créativité chez les écrivains ?Autant de questionnements (et de réponses incroyables) qu’Eudes nous déroule avec brio dans la thèse centrale de son essai.
Selon l’auteur, l’écriture exige un état d’esprit particulier. Comparé à un « sorcier », « magicien » ou « alchimiste », l’écrivain doit dépasser plus de 4 stades de développement pour accéder à une production littéraire aboutie.
Ainsi l’écrivain en herbe est conditionné inconsciemment par son enfance, son milieu, son éducation, ses parents, et tout un tas de croyances limitantes propices à avorter son désir d’écriture ou pas. « Trouver sa propre écriture » c’est se libérer de ses chaînes mentales, aller au plus profond de son intimité, pour opérer une transformation psychique en 224 pages.
Émaillé de citations et d’anecdotes croustillantes sur la vie des artistes, génies et auteur de ce monde (par exemple, saviez-vous que Baudelaire fut toute sa vie sous la tutelle de sa mère à qui il quémandait de l’oseille ? Que Zola était effrayé par le noir ? HEMINGWAY alcoolique ou qu’Einstein était un mari épouvantable doublé d’un père absent ?)
Eudes nous prend littéralement la main au fil des pages, pour nous entraîner dans un chemin où au bout nous attend notre double.
Non pas adulte, mais enfant ! Car comme disait BAUDELAIRE : « Le génie n’est que l’enfance retrouvée à volonté » ou SCHOPENHAUER : « Tout enfant est un génie et tout génie est un enfant dans une certaine mesure », devenir écrivain nécessite une exigence de tous les instants. Une capacité à se renouveler. A célébrer les mystères de l’art et de l’existence et à renouer avec notre enfant intérieur, sans que celui-ci nous transforme en adulte irréfléchi, et donc contre-productif.
L’écrivain grandit en même temps que son œuvre
Là où ce livre est clairement magique, c’est qu’évidemment, lorsque vous décidez de l’acheter c’est que vous avez plus que des velléités littéraires. Seulement, le piège se referme lorsqu’au bout de quelques pages nous sommes comme happés dans l’univers de l’auteur, qui arrive magistralement à nous remettre en question alors que nous ne nous y attendions pas… De simple manuel technique, on plonge alors dans un livre truffé de références et de témoignages d’anonymes rencontrés lors de ses ateliers d’écriture ou au cours de sa vie.
Ainsi, on fait la connaissance de l’émouvante Morgane, jeune commerciale de 27 ans, dépendante affective, qui rêve de rencontrer un éditeur pour être publiée. On découvre alors comment la vie privée de cette jeune femme impacte fortement son processus d’écriture. En effet, si Morgane se laisse approcher très difficilement par un potentiel partenaire amoureux, le faisant galérer par peur de se tromper, d’être trahie ou d’être à nouveau dépendante affective de cette personne, cela démontre que dans le monde des adultes elle est encore une petite fille. Elle s’efface systématiquement et elle attend passivement que les choses se passent. Dans cette position d’enfant paranoïde difficile de développer une vision plus adulte de l’écriture, assumée et créative.
Le processus d’écriture nécessite de se connaître avec ses forces et faiblesses
C’est en surmontant ses peurs que Morgan acquerra de l’autonomie, progressera dans sa vie, tout comme dans son écriture !
A travers ce témoignage on comprend l’importance que révèle la psychologie humaine. Car de ce levier psychologique découle 2 sortes d’écrivains :
« Les vrais écrivains d’un côté et les tricheurs de l’autre. Les vrais écrivains mettent leur vie en jeu quand ils écrivent (« il faut mettre sa peau sur la table » disait très justement Céline) tandis que les tricheurs ne cherchent qu’à réaliser des visées infantiles (argent, notoriété) et produisent ainsi des écrits « détachés » sans aucun rapport avec ce qu’ils sont. Les tricheurs sortent inchangés et intacts (pour ne pas dire indifférents) de leur travail d’écriture, si bien que leur production ne constitue au fond qu’un exercice superficiel, généralement sans valeur artistique (même lorsqu’elle rencontre le succès). »
Chat GPT menace-t-il les écrivains ?
Alors que Chat GPT bouleverse les métiers intellectuels notamment liés à l’écriture, l’auteur amorce sans le savoir des axes de réflexions sur le sujet. En effet pour Eudes SÉMÉRIA l’écriture provoque les mêmes effets qu’une drogue.
L’écrivain est plongé dans son monde mystique, fantasmagorique. L’écriture prend vie sous sa plume. Son style s’affermit, reconnaissable entre tous !
Marguerite Duras à son bureau
A la manière de DURAS qui écrit « sur la crête des mots » qui « les attrape vite » pour que l’instant, la sensation, l’émotion, l’action, se figent dans son obturateur qu’est sa feuille et son stylo (ou pour d’autres leurs écrans d’ordis). Ce que l’on devine (et ce qui pourrait nous réconforter) dans ces prémices de guerre intellectuelle face aux robots et intelligences artificielles, si chers à Isaac ASIMOV ou à Bernard WERBER, est le fait que l’homme aura beau inventer des jumeaux numériques, AI et autre artefacts virtuels, la virtuosité du style littéraire de l’écrivain ne pourra pas être aseptisée par une intelligence artificielle.
Bien au contraire, le style signe la présence de l’auteur auprès du lecteur sensible à son univers, à l’atmosphère toute particulière qui se dégage de ses œuvres littéraires, nourries par ses innombrables expériences et ressentis.
Le processus créatif de l’écrivain
En effet, l’écrivain dégage une certaine aura hypnotique à la lecture de ses lignes, un charisme insaisissable qui captive le lecteur, l’enveloppant du « véritable mystère du style ».
Si selon BUFFET « le style c’est l’homme même », incontestablement un écrivain est tel un Mozart, Picasso ou Tarantino : inimitable !
Le réalisateur, scénariste et producteur Quentin Tarentino connu pour ses films à succès
L’auteur de « Vendredi ou la vie sauvage », Michel TOURNIER, avoue s’être inspiré sciemment de FLAUBERT dans quelques-unes de ses phrases et après relecture avoir qualifié ses écrits de « Flaubert de synthèse » ou d’avoir fait « de l’hyper-Flaubert ».
Pour les Cassandre qui signent déjà l’arrêt de mort des supports papier, du remplacement de l’homme par les robots, de la disparition des journalistes, des copywriters ou autres métiers à fortes valeurs ajoutées suscitant des ressource intellectuelles (et de l’émotion) ; n’ayez pas peur ! Car ChatGPT excelle bien dans 3 domaines : l’impersonnalité, le prêt-à-penser et le prêt-à-répéter!
Montaigne disait : « Je suis moi-même la matière de mon livre ! »
Si dans la mode tout est question de textile, dans l’écriture tout est question de style !
A la fast-fashion, certains préfèrent la slow-fashion, plus éthique. A ChatGPT, certains privilégient l’authenticité d’une œuvre unique, originale, où l’écrivain s’y est transcendé pour nous transmettre sa vision toute personnelle.
Quels monde et avenir voulons nous transmettre à nos enfants, aux futures générations, si nous renonçons à l’effort intellectuel et à l’apprentissage du savoir ?
Là où le logiciel d’intelligence artificiel ChatGPT ou « transformeur génératif préentraîné » est incapable de penser, de faire preuve d’imagination, l’homme par essence, progresse, grâce à la somme de ses expériences et connaissances. Par conséquent, ChatGPT fait couler beaucoup d’encre pour pas grand chose. Sauf à produire des synthèses approximatives glanées sur le web, notes de lectures médiocres et exposés généraux fades. Le tout d’une banalité sidérante.
Les fantasmeurs du web#3 imaginent déjà ChatGPT en Chateaubriand, alors qu’il s’agit d’une illusion, non pas d’optique, mais de réflexion ! A terme le manque d’efforts intellectuels mène déjà, selon certains neurologues et chercheurs asiatiques, des jeunes chinois de 19 ans vers une forme précoce de la maladie d’Alzheimer (source : « Journal of Alzheimer Disease » 31 janvier 2023)
L’IA n’est pas encore en passe de réécrire des best-sellers comme : «Bonjour Tristesse», « Notre-Dame de Paris », « Madame Bovary », « Boule de Suif », « Le Horla », « l’Étudiant Américain », « Shining », « Fils de Pub», «Le Test » ou encore « Montmartre » !
Les Writers, sur les murs de nos cités, tout comme sur le papier ou écrans, ont encore de longues vies et créations devant eux à nous partager !
Imaginez-vous les graffeurs remplacés par des robots ? Pour les écrivains c’est pareil. l’IA est adaptée pour les contenus basiques sans réelle valeur artistique ajoutée.
* Traduction citation : "Pas un jour sans une ligne" (latin) ÉCRIRE
Eudes SÉMÉRIA
Éditions Albin Michel
234 pages
17,90 euros
En librairie depuis le 26 avril 2023
