Back

Société : l’IA, à quel prix ?

5 Octobre 2024

Quel avenir pour l’humanité dans un monde dématérialisé ?

Comment s’affranchir de l’emprise de l’intelligence artificielle ? Alors que les robots émotionnels, nudges, algorithmes et autres robots conversationnels envahissent de plus en plus notre quotidien, Elon Musk, prédit que « nous sommes à l’aube d’une nouvelle ère ». En 2025, l’homme le plus intelligent de la planète sera-t-il officiellement dépassé par l’IA ? Pourquoi la guerre des cerveaux ou économie de la connaissance est une réalité ? Deux chercheuses et auteures nous partagent des pistes de réflexion : Laurence Devillers et Aurélie Jean.

Par Estelle GUEÏ

 

 

« On n’arrête pas le progrès » mais à quel prix ?

Les intelligences artificielles s’immiscent de plus en plus dans notre quotidien, même dans notre intimité. Comme cette notification qui nous informe que nous « travaillons trop », alors qu’une fulgurance intellectuelle nous pousse à lire ou à écrire plus, et que cela nous fait du bien. Cet « œil de Moscou » soi-disant bienveillant, nous retirerait-il notre libre-arbitre ? Plaisir d’exister ? De ressentir les émotions naturelles et non artificielles ? Épiés en permanence, l’IA possède cette capacité implacable de profiler n’importe quel individu, en fonction des infos recueillies (métadata) sur la toile. 

 

Comment créer un environnement safe et éthique pour chacun des usagers de l’IA ? Les chercheurs s’interrogent

 

C’est encore celle-ci qui détermine si tel profil économique est digne de confiance pour avoir un prêt. Même les domaines de l’amour et de la sexualité n’échappent pas à la maîtrise de la mécanique algorithmique lorsque d’interminables feeds nous renvoient des profils stéréotypés sur Tinder et autres apps de rencontres censées nous faciliter la vie…

C’est dans ce contexte où l’IA est omniprésente que l’auteure de l’essai Les Robots Émotionnels, Laurence DEVILLERS, s’interroge sur « quelle société souhaitons-nous construire ? » 

Professeure à Sorbonne Université en informatique appliquée aux sciences humaines et sociales, Laurence DEVILLERS dirige aussi au CNRS la chaire de recherches en intelligence artificielle HUMAAINE en apprentissage machine, détection des émotions et interaction homme-machine, manipulation et éthique. Elle est notamment membre du Comité national pilote d’éthique du numérique. Publiée chez Plon et chez l’Observatoire, ses ouvrages ouvrent le champ de réflexions sur les mythes et les fantasmes suscités par les robots et sur la réalité de la vie humaine.

 

Laurence Devillers, professeure à Sorbonne Université en informatique appliquée aux sciences humaines et sociales, dirige aussi la chaire de recherche en IA, HUMAAINE, au CNRS

 

Comment (re)trouver notre boussole intérieure dans ce mystérieux labyrinthe qu’est l’existence humaine, à l’ère des algorithmes et autres subtilités générées par les intelligences artificielles ?

Pour nous aider à mieux comprendre et à apprivoiser nos peurs face à la grande inconnue qu’est l’Intelligence Artificielle, l’auteure des Robots Émotionnels (Les Éditions de l’Observatoire) nous incite à « apprendre à démystifier l’IA »

 

 Car l’IA est comme un objet apportant un regard à la loupe, que nous n’avons pas. « Une autre acuité visuelle pour voir, soit l’infiniment petit ou l’infiniment grand ». Par exemple, l’IA est formidable pour pré-diagnostiquer des cancers parmi des millions de données, même si le médecin qui vous suit a déjà 30 ans d’expérience.

 

Prenez « la température » face aux réponses fournies par l’IA, 10% est le ratio selon la chercheuse du CNRS, Laurence Devillers

 

Cependant, Laurence DEVILLERS nous alerte sur les bonnes pratiques éthiques et sur les préconisations émises par les machines, car « l’intelligence artificielle fait aussi de faux diagnostics » comme nous le rappelle l’auteure.

Autre conseil que son ouvrage nous distille, l’importance de « prendre la température » face aux 10 % des réponses fournies par l’IA. Comme lorsqu’on joue aux dés, n’oublions pas que les réponses de Chat-GPT peuvent être truffées d’erreurs communément appelées des hallucinations.

Une autre astuce que Laurence aime partager pendant ses conférences : faire attention aux interfaces dîtes faciles, car « c’est une incitation à faire, à passer plus de temps sur l’app et donc à consommer plus ». C’est en effet le rôle des nudges, outil de robotique émotionnelle, conçu pour modifier nos comportements au quotidien, sous la forme d’une incitation discrète. C’est une sorte de coup de coude ou de coup de pouce pour nous « faciliter la prise de décisions peu intuitives, ou difficiles à prendre » comme l’explique Coralie CHEVALLIER, chercheuse Inserm en sciences cognitives et comportementales à l’École normale supérieure à Paris.

 

Les nudges nous manipulent en termes d’affect au quotidien

 

Donc le risque à terme est de perdre notre libre arbitre, du temps et de l’argent, comme lorsque certains individus plus fragiles sont addicts aux réseaux sociaux et délaissent « la vraie vie » pour se réfugier derrière leurs écrans, avec tous les travers psychologiques que cela comporte.

Vous l’aurez compris, pour être libre, nous devons limiter l’influence de la machine.

Créer un environnement safe et éthique pour chacun des usagers. A ce titre, la chercheuse milite activement pour que les enfants soient épargnés des effets délétères des intelligences artificielles sur leur développement cognitifcapacités d’attentionsanté mentaleen les sensibilisant grâce à l’éducation. Cela passe par l’école, mais aussi par le foyer familial, car les parents ont un rôle prépondérant à jouer pour que leur progéniture devienne des adultes conscients des enjeux de la société, des êtres épanouis, humainement sensibles et libres.

Outre que des métiers vont disparaître, que des nouvelles compétences seront recherchées, nous pouvons aussi nous interroger sur les risques d’une société autistique dénuée d’empathie, motivée par la performance, la productivité, l’utilité, l’efficacité, au détriment du plaisir, du sentiment et de l’épanouissement de l’individu.

Quel monde désirons-nous pour nos enfants pour ne pas les transformer en «techniciens étroits » ?

 

Il est essentiel d’expliquer aux enfants les effets délétères des intelligences artificielles sur leur développement cognitif, capacités d’attention, santé mentale, en les sensibilisant grâce à l’éducation

 

Le code a changé : Amour et Sexualité au temps des algorithmes d’Aurélie JEAN

Il est aussi intéressant de mettre en perspective l’ouvrage de Laurence DEVILLERS, publié en 2020 aux Éditions de l’Observatoire, avec le nouvel essai d’Aurélie JEAN, qui traite de l’amour et de la sexualité au temps des algorithmes : Le Code a Changé.

Également signée aux Éditions de l’Observatoire, Aurélie JEAN, Docteure en sciences et entrepreneure, est une figure de la science algorithmique.

Docteure en sciences et entrepreneure, Aurélie Jean vient de publier son nouvel essai « Le code a changé : amour et sexualité au temps des algorithmes

 

Tout comme Laurence DEVILLERS, Aurélie JEAN nous alerte aussi sur l’arrivée des poupées et robots sexuels de plus en plus connectés, fonctionnels et sophistiqués, pour contrer la solitude et la misère sexuelle.

Ces jouets sexuels grandeur nature, sortes de robots humanoïdes d’apparence féminine, sont en majorité pensés par des hommes, et conçus pour des hommes. Toujours dociles, fidèles et disponibles à volonté, ces poupées sexuelles ouvrent un débat sans précédent au sein de notre société : Comment déterminer ce qui serait acceptable socialement, moralement, et anticiper les effets de ces robots sur les usagers et sur la société ?

Aurélie Jean, auteure et chercheuse, experte des algorithmes

Outre les risques de maltraitance, cette sexualité algorithmisée, à l’amélioration exponentielle, comporte des risques de réification de la femme et de violences accrues. 

Loin d’être dystopique Aurélie JEAN nous rappelle qu’en 2018 un Nigérian avait convolé en « noces artificielles » avec sa poupée de compagnie. Puis 2 ans plus tard, au Kazakhstan, un homme a aussi épousé sa poupée sexuelle féminine…

En fait, la condition de la femme est la même que la condition humaine : incertaine ! 

Quelle sera notre perception du monde et de nos contemporains à l’ère du Web#5 dans les domaines amoureux, professionnels et familiaux ?

 

  • « Le Code a Changé : amour et sexualité au temps des algorithmes »
Les Éditions de l’Observatoire 
251 Pages
21 euros
Sortie octobre 2024

 

  • « Les Robots Émotionnels »
Les Éditions de l’Observatoire 
271 Pages
20 euros
4ème tirage Mars 2024

 

Post a Comment

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

error: Content is protected !!