Le Chômeur
Comment créer de l’engouement autour d’un titre aussi peu vendeur ? Pourtant la troupe parisienne de vingtenaires Faits d’Art Scénique a relevé le défi sur la scène du Guichet Montparnasse. A guichet fermé !
Par Estelle GUEÏ
Humour & déraison
Cette avant-première s’est déroulée sous le signe de l’humour, alors que de prime abord le titre évoque tout, sauf la bonne humeur.
Que nenni ! Sous la houlette d’Arnaud PATRON, le metteur-en scène et chanteur de la désopilante pièce de théâtre le sujet du chômage est propice à faire vivre au héros parisien, Mano Le Cœur, une série de mésaventures gaguesques où une galerie de personnages tous plus fous que les uns que les autres apparaissent.
Articulé comme une sorte de sitcom ou stories en mode Instagram, l’auteur utilise des tranches de vie pour retranscrire au public le tourment psychologique qu’endure le héros. Car à partir du moment où il perdra son emploi, il perdra également « sa raison de vivre, l’amour de sa vie » en plein milieu d’une fête d’anniversaire surprise organisé par ses ami.e.s
Le ton est donné d’entrée de jeu : dès les premières minutes le scénariste Antoine entame un rap conscient mélodieux, pour enjoindre les spectateurs à éteindre leurs portables. Alors que quelques minutes plus tard, les comédiens réussiront à interpréter de façon ingénieuse notre façon de réagir ou sur-réagir aux propos des autres en « likant » (jeu de lumière sur le protagoniste qui like sur son portable). Ainsi, lorsque la bande de copains apprend que leur ami a perdu à la fois son boulot de consultant marketing et sa petite-amie, certains le traiteront sur les réseaux sociaux de « chiant », de « mec qui fait pitié », tenteront de le réconforter sur le thème « ta copine était une arriviste autocentrée », ou pire « il ne méritait pas sa copine qui était trop bien pour lui ! »
Bref, la double peine pour le jeune Mano qui se retrouve à pointer à Pôle Emploi. La scène est d’anthologie : imaginez le héros en costume-cravate, avec sa valisette contre son cœur, postulant pour le poste de sa vie. Or, la conseillère Pôle Emploi, au bord du burn-out, lui propose des postes n’ayant aucun lien avec sa formation initiale ou lieu d’habitation, comme rugbyman, plombier ou encore un poste à Toulouse, au prétexte que « c’est l’algorithme qui a dû se planter ! »
A bout, la conseillère lui lancera après lui avoir conseillé un stage« pour gommer les aspects chiants de sa personnalité » une diatribe, digne du cinéma français en mode : « Je me casse ! Je n’en peux plus des dépressifs qui déteignent sur moi ! Je me casse! »
Un rythme narratif comme au ciné
La messe est dite. S’ensuivront ensuite des scènes surréalistes chez le coach homosexuel en développement personnel, puis lors d’un entretien d’embauche où le héros se retrouve en concurrence avec son ancienne conseillère Pôle Emploi.
L’une des meilleures scènes hyper-réalistes, est incontestablement celle avec le couple de psychiatres, censés analyser, Mano Le Cœur, qui se chamaillent. Les deux praticiens se prennent la tête devant le patient, entre les écoles Freud et Jung, alors qu’ils sont amoureux.
Loin d’être linéaire, la pièce « Le Chômeur » interroge sur la dépendance affective, la confiance en soi, la routine au sein du couple, la pression sociale et la peur de l’oisiveté qui oblige les gens à travailler.
Le travail est aussi dénoncé comme une forme d’aliénation ou d’esclavage moderne, conditionnant l’homme, même dans ses relations amoureuses et interactions sociales. L’auteur fait passer à travers « Le Chômeur » une forme de message politique ou sociologique. D’ailleurs, l’une des scènes parodie une émission télé politique. La célèbre punchline d’un communiste célèbre sera ainsi détournée : « L’émission c’est moi ! » Lorsqu’un des candidats socialistes usera du chantage à la Jospin « J’arrête (re)définitivement la politique ! »
Cette pièce hilarante et loufoque vaut tous les Lexomil 😉
La joyeuse troupe du Conservatoire de Saint-Germain en Laye (78), Faits d’Art Scénique, prépare déjà pour la rentrée un spectacle intitulé «Hypermarket » mettant en scène des personnes issues de différents milieux enfermées dans un hypermarché…une satire sociale où bobo, bimbo, prolo et noblio se prendront le chou. A suivre !
Le Chômeur
De Arnaud PATRON
Le Guichet Montparnasse
15 rue du Maine
Paris XIV
Jusqu’au 8 mai 2022
16 euros