Livre : Trois Femmes
La Salonnière, la Bourgeoise et l’Artiste
Quand l’amour, la politique et les figures romanesques du XVIII ème siècle se mêlent à l’Histoire de France, cela donne un objet littéraire sous forme de 3 univers épistolaires aux parcours de femmes inspirants. « Trois Femmes » fait partie de ces livres qui nous happent hors du temps !
Par Estelle GUEÏ
Quel est le point commun entre Dracula de Bram Stocker, Les Liaisons Dangereuses de Laclos, Lettres Persanes de Montesquieu, Julie ou la Nouvelle Héloïse de Rousseau, ou encore, Les Souffrances du jeune Werther ?
Ces classiques de la littérature ont tous été rédigés sous la forme d’un livre épistolaire. Un exercice prisé par Madame de Sévigné et de nombreuses femmes éclairées qui ont contribué par leur correspondance foisonnante, à nous livrer des témoignages vibrants sur leur époque, leurs contemporains et états d’âme.
Une tradition dans laquelle s’inscrit l’ouvrage que je m’apprête à vous chroniquer : Trois Femmes de Cécile BERLY !
Trois Femmes de Cécile Berly aux éditions Passés/Composés
Mémoires Vivantes & Esprits des Lumières
Inscrites dans la postérité, Madame du DEFFAND, Madame VIGÉE LE BRUN et Madame ROLAND, sont les mémoires, encore vivantes, grâce à leurs écrits et peintures, d’une société française du XVIII ème siècle, qu’elles ont connue à son apogée, et qu’elles ont vue décliner, puis renversée lors de la Révolution Française. 3 Portraits de femmes hors du commun, brossés avec sensibilité, par Cécile BERLEY, historienne, spécialiste du XVIIIème siècle.
Incontestablement, le XVIIIème fut le siècle de la peinture et des lettres. Notamment de la lettre épistolaire, art littéraire où les femmes excellaient, en échangeant des correspondances, rédigées comme des journaux intimes. Elles étaient parfois lues à haute voix dans les Salons, à l’instar de Joséphine, dont les lettres enflammées de Bonaparte étaient partagées.
Joséphine lisait à haute voix les contenus des lettres de Napoléon, dans les Salons, lorsqu’il était au front
Lâchez vos écrans numériques, et plongez immédiatement dans cet univers romanesque, où la plume, l’encrier, l’essuie-plume, la boîte à sable et le bâton de cire rouge pour cacheter votre lettre, ont le maître-mot !
A la lueur vacillante de la bougie, et non de la lumière, se reflète sur les murs, les 3 portraits de ces femmes aux destins hors du commun. 3 Siècles nous séparent de ces héroïnes attachantes, mais leur combat pour la liberté, la quête de vérité et de sens, et l’émancipation, n’ont jamais autant raisonné qu’à notre époque tout autant agitée.
Lire, écrire, étudier, analyser, telles sont les activités intellectuelles des philosophes, et des hommes et femmes de lettres
Comme le confie l’auteure Cécile BERLY, Trois Femmes, est plus que jamais, « une histoire de plumes, d’encre et de papier » afin que survive jusqu’à aujourd’hui ce « bel esprit » des Lumières, qui faisait rayonner la France à travers tous les royaumes.
Le philosophe Diderot a contribué au rayonnement intellectuel français à l’époque des Lumières
C’est une chance pour les lecteurs que nous sommes d’accéder aujourd’hui à ces « fabriques de Souvenirs » rédigés avec simplicité, naturel. Comme lorsque nous écrivons à nos ami(e)s, membres de notre famille ou êtres aimés, en toute confidence et intimité.
L’épistolaire renvoie à un style élégant, sans affectation et authentique où nous découvrons les périodes les plus intenses de l’histoire à travers le regard de l’auteure. De plus, ayons à l’esprit que l’entreprise éditoriale épuise physiquement et moralement comme le confie Madame VIGÉE Le BRUN dans l’une de ses correspondances…
Destins Tragiques, Figures Inspirantes
Écrire est aussi physique que de peindre ou de construire un mur à mains nues. C’est dans cet exercice d’observation, d’étude, de lecture et d’écriture, que s’abîment Madame du DEFFAND, Madame ROLAND et Madame VIGÉE LE BRUN.
Tel un sacerdoce, leurs correspondances s’étalant sur des décennies, survivent aux couloirs du temps, nous faisant partager les grands moments historiques de notre pays. Elles mettent en scène des personnages fondateurs de la patrie, mais aussi la cruelle réalité de la condition de la femme, étouffée dans une société patriarcale, devant faire des compromis, des jeux d’alliance, pour accéder à la liberté de créer, de s’exprimer et d’agir.
Écrit avec une plume fine et virtuose, Trois Femmes, est un livre à tiroirs, cachant en son sein, à la fois des extraits de correspondances émouvantes et rares, les observations de l’auteure spécialiste du XVIII ème siècle, et les difficultés rencontrées par les femmes pour imposer leur indépendance.
Madame Roland. Sa force essentiellement cérébrale lui permettra d’affronter le guillotine superbement en 1793 pendant la Terreur menée par Robespierre après la Révolution Française
C’est avec admiration et effroi, qu’on se laisse happer par le destin hors norme de Madame ROLAND, de son nom de jeune fille, Marie-Jeanne PHLIPON. Fille d’un artisan graveur, dont la vie fut vouée à l’écriture, aux sentiments et à la politique.
De ces 3 femmes, Madame ROLAND, est ma préférée ! Aujourd’hui elle aurait sûrement été affublée du titre de HPI (haut potentiel intellectuel) ou de zèbre, puisqu’enfant précoce, tous les matins elle se levait à 5h pour s’asseoir « à sa table de travail », étudier et écrire pendant des heures avec jubilation.
Dotée d’une mémoire exceptionnelle, elle apprit grâce à ses précepteurs le latin, l’histoire, la géographie, la musique, la danse et le dessin. Dans cette solitude studieuse, Marie-Jeanne s’enferme pour lire Plutarque, Les Mémoires de Montpensier, Scarron ou encore Fénelon.
Issue de la petite bourgeoisie Parisienne (elle est née sur l’île de la Cité en 1754), Marie-Jeanne apprend à lire seule à 4 ans. A 5 ans, elle sait déjà écrire. A 8 ans, elle lit Plutarque et ses Vies des Hommes Illustres.
Partout où la petite Marie-Jeanne va, elle porte sous son bras un livre. Un imaginaire livresque, qui nourrit toute son enfance et façonnera sa future personnalité de femme éclairée, jusqu’au-boutiste, ayant soif d’idéal et d’actes héroïques…qui lui couteront la vie…
Sans spoiler, son incroyable biographie, brossée avec passion par Cécile BERLY, rappelle (par certains aspects) le destin amoureux de la chanteuse Dalida qui perdit par suicide, deux compagnons. Ainsi, Madame ROLAND perdit son époux et son amant, pendant le règne de la Terreur. Par amour, ils se suicidèrent…
Quelle triste ironie pour cette héroïne aux mille et une lettres, dont la maxime fut : « Vivre c’est écrire, écrire c’est vivre » !
Le salon de la marquise du Deffand était très couru. Les grands esprits du siècle des lumières s’y pressaient
A l’inverse, la marquise Du DEFFAND (1696-1780), utilise l’art de la conversation et de l’écriture pour briller dans les salons de la haute société. Contrairement à Madame ROLAND qui s’arma de sa plume pour contribuer aux avancées sociales et politiques de son temps au service du collectif, Madame Du DEFFAND trempe son encrier et use de son éloquence, pour asseoir son influence personnelle dans l’art de vivre à la française.
Elle contribuera ainsi à imposer son goût du « bel esprit » en tenant l’un des salons littéraires le plus couru de la capitale. Penseurs, philosophes, hommes de lettres, juristes, scientifiques et artistes se presseront pour voir et être vus dans la bonne société.
Figure incarnée de la liberté et du libertinage sous la Régence, Madame Du DEFFAND « passe d’un corps masculin à un autre », écrit énormément, n’ayant cure de ternir sa réputation.
Consciente que « le corps seul ne garantit pas le succès » et que « le bel esprit est indissociable de l’alcôve », la marquise sera introduite à de nombreuses cours (dont celle de Sceaux) grâce à son bel esprit. De courtisane mondaine, elle devient salonnière, puis épistolière.
Emilie du Châtelet fut la première traductrice de Newton en France
La lettre la plus ancienne qui nous reste de cette amie de Voltaire et protégée du « président » et académicien Hénault, date de l’été 1742….
Je laisse le soin aux KissCiteurs de découvrir le troisième portrait. Celui d’une femme engagée, libre, intrépide et humble. Celui d’une femme qui « réalise un exercice difficile et même éprouvant. L’écriture, comme la peinture, est une activité physique harassante. »
Pour ces trois femmes, écrire, c’était peindre autrement…
Une virtuose des mots et de la peinture, Madame Vigée Le Brun
Trois Femmes
De Cécile BERLY
171 Pages
Édition Passés/Composés
17 €
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