Psychologie d’un Pervers Narcissique
Saluée par la critique, Les Ecchymoses Invisibles est un huis-clos haletant joué comme un tango infernal. Les 2 protagonistes incarnent un couple où la jeune femme est victime de violences psychologiques de son mari pervers-narcissique.
Par Estelle GUEÏ
Une violence non physique
Tout commence par des réflexions anodines en apparence. Puis l’escalade amoureuse devient chronique. Comme un sport quotidien. L’être aimé, objet de tous les désirs, devient la personne à abattre. A humilier. Un punching-ball verbal ou exutoire pour passer ses nerfs après une journée de travail harassante. Un plat mal salé ? Une insulte ! Une contrariété qui affecte l’égo ? et vlan, la claque verbale arrive ! Comme cela. Sans crier gare. Un reproche assassin qui fera insidieusement son œuvre. La victime apeurée ne sait pas à quelle sauce elle va être dégustée…C’est ce quotidien partagé par près de 225.000 femmes victimes de violences toutes confondues, que le metteur en scène, Djamel SAIBI, a voulu porter sur les planches du Guichet Montparnasse, à travers son spectacle, Les Ecchymose Invisibles.
Il existe les violences physiques faites aux femmes (ou aux hommes aussi), mais on oublie bien souvent, cette autre ramification : la violence psychologique. Le bourreau s’appelle alors pervers-narcissique compulsif (PNC). Véritable pathologie mentale classée selon le DSM-5 (manuel de référence depuis 60 ans sur les diagnostics et statistiques des troubles mentaux). Il existerait ainsi en France 3 % de perverses ou pervers narcissiques, détruisant 90% de leur entourage. Traité comme un phénomène de mode ou « mal du siècle », les personnes atteintes de perversité-narcissique ont encore de beaux jours devant elles, pour abimer et détruire à petit feu leurs victimes tombées dans leurs griffes !
La mise en scène brute, incisive de Djamel SAIBI opère une autopsie de la psychologie du PNL (pervers narcissique compulsif). Est-ce un gène ? Comment un enfant peut-il devenir un adulte tyrannique ? Quelles sont les possibilités pour sortir des griffes du pervers-narcissique ? Pourquoi de nombreuses victimes acceptent la violence physique et psychologique ?
La pièce Les Ecchymoses Invisibles traite un sujet très difficile à porter sur écran ou sur planche. Tabou de la société, la violence au sein du couple, même psychologique, est à l’image de ces rideaux qu’on abaisse ou volets qu’on ferme pour mieux cacher à la société la monstruosité de ce qui se passe derrière les murs des appartements ou maisons, mêmes les plus cossues.
Blessures d’enfance
Le rouage machiavélique s’opère dès la petite enfance. Dans la pièce Les Ecchymoses Invisibles on apprend ainsi que le mari, interprété par Éric MOSCARDO, a été délaissé par ses parents. Bien que vivant dans une famille aisée, l’enfant était souvent abandonné par ses parents après leur sortie au théâtre, préférant s’échapper à l’hôtel, au lieu de rassurer leur fils, inquiet à l’idée qu’il leur soit arrivé quelque chose…
En grandissant, on comprend la mécanique de survie de ces enfants détruits, aux plaies béantes, qui pour se protéger du désamour et de l’abandon de leurs parents, prennent un malin plaisir à infliger à l’autre progressivement, à petite dose, la somme de leurs frustrations à travers des paroles assassines.
Une sorte de vengeance inconsciente. Thème très Freudien.
Là où le pervers narcissique est dangereux et difficile à détecter, c’est qu’il sait y faire pour charmer sa victime ! La rendre dépendante affectivement dans un premier temps, avant de la désocialiser peu à peu et lui faire perdre son emploi. La tendre amoureuse se retrouve alors sans ami.e.s, éloignée de sa famille, perd sa confiance en elle, jusqu’à perdre l’autorité parentale sur ses 2 filles. La comédienne, Emma DUBOIS, incarne parfaitement cette femme victime de violences conjugale depuis 24 ans, alors que son mari est commissaire de police et qu’il la couvre de cadeaux luxueux.
Au rythme des chansons de Michèle TORR, le spectateur entre dans la danse de ce couple infernal. Le tango oscille entre des scènes de désirs crus, impétueux, égoïstes et autocentrés, à des séquences ultra-violentes, où le mari assène de mots violents sa tendre épouse.
Il sait qu’il la tient, comme il aime à le répéter. Nous touchons alors du doigt le problème de fond : l’autonomie financière des victimes de violences conjugales. Nombreuses femmes n’osent quitter leurs bourreaux faute de salaire. Sans emplois, elles sont à la merci de leurs vampires affectifs et manipulateurs pervers, qui les traitent comme des moins que rien. » Que feras-tu sans argent ? Pute ? « A notre époque, en 2022, ces phrases typiquement machistes et pleine de toxicité masculine, laissent sourire, car si le fantasme de Belle de Jour ou de Zahia D est notoirement connu, on peut supposer que certaines de ces femmes vendant leurs charmes sont plus épanouies, que ces épouses ou compagnes engluées dans une relation mortifère ou un mauvais mariage ! Nous pourrions pousser le vaudeville plus loin, et imaginer que ces bourreaux traiteront mieux une « pute » que leurs propres épouses.
Une pièce d’utilité publique
Dès la première claque, il est évident que plus rien ne sert de rester. Inutile de recoller les morceaux lorsque le respect et l’humiliation font partie du quotidien. Ne parlons pas de confiance, car les pervers.es narcissiques sous couvert de grands discours moralisateurs, sont les premiers à enfreindre leurs propres concepts !
Les Ecchymoses Invisibles s’inspirent de relations toxiques réelles. Le metteur en scène a été sensibilisé par le témoignage d’une jeune femme victime d’un pervers-narcissique. Sidéré, il a voulu en faire une pièce de théâtre afin d’aider et alerter ces femmes ou ces hommes novices déboussolé.e.s, dont leurs âmes pourraient être abîmées par des blessures invisibles…
Parce que n’importe qui peut tomber entre les mains d’un ou d’une perverse-narcissique, il est d’utilité publique de comprendre leur fonctionnement pour s’en prémunir ou se reconstruire. Nous vous invitons en complément à regarder le film « Mon Roi » de Maïwenn ou de lire « L’amour et les forêts » d’Éric Reinhardt.
Le Guichet Montparnasse
15 rue du Maine
75014 PARIS
Tous les jeudis à 19h
Jusqu’au 23 Juin 2022