Le Misanthrope

Selon le dictionnaire, un misanthrope est une « personne qui manifeste de l’aversion pour le genre humain et qui évite de fréquenter ses semblables ». Revisitée par le metteur en scène, Thomas Le Douarec, la pièce de Molière n’a jamais été aussi riche d’enseignements et d’anachronismes !

 Par Estelle GUEÏ

 

Joue-là comme Molière

C’est en costume vert et sur scène, que Molière décédera pendant la 4^ème représentation du Malade Imaginaire, à l’ âge de 51 ans. Molière était un dramaturge à la forte personnalité et un génie. Avant de devenir l’humoriste favori du jeune roi Louis XIV, ce fils de commerçants parisiens, a parcouru les routes de France et de Navarre dès l’âge de 21 ans, avec sa troupe l’Illustre Théâtre. 4 siècles plus tard, Molière occupe une place emblématique dans la culture française et francophone. La maîtrise de notre langue rend couramment hommage au dramaturge par la périphrase suivante : « la langue de Molière ». 

Son œuvre prolifique composée d’une trentaine de comédies dissèque avec génie les mœurs de son époque et comportements de ses contemporains. Son sens de l’analyse et de l’observation poussées, lui permettent de transmettre ses impressions personnelles à travers différentes ressources typiques de la comédie : verbal, gestuel, visuel et comique de situation. L’ensemble de son œuvre avant-gardiste pour l’époque, et qui n’a pas pris une ride, a suscité le courroux des dévots, ecclésiastiques et des hauts dignitaires de la monarchie, pour le plus grand plaisir de son public.

Molière, c’est une galerie de personnages individualisés, à la psychologie complexe, dont certains sont devenus des archétypes, même à notre époque.

 

Le Misantrophe, ou l’amoureux Atrabilaire Moderne

C’est la raison pour laquelle, la 26ème édition du Mois Molière célèbre le 400^ème anniversaire de la naissance de l’incroyable dramaturge, à Versailles. Quel meilleur hommage que de jouer face au Château du Roi-Soleil ?

Depuis juin, une statue de Molière a été inaugurée dans le nouveau bosquet, face à la gare Versailles Château Rives Gauche.

C’est dans ce cadre historique et noble, que la comédie Le Misanthrope, revisitée par le metteur en scène, scénariste et acteur, Thomas LE DOUAREC (Le Pari, Femmes de loi, Nos amis les Terriens, roman de gare, Le portrait de Dorian Gray, Very Math Trip…) a été jouée à guichet fermé, dans la cour de la Grande Écurie. Incroyablement dépoussiérés, les personnages principaux si chers à nos cœurs nostalgiques d’écoliers, apparaissent sur scène vêtus, non pas de costumes d’époque, mais en habits modernes.

L’histoire se passe à notre époque, au sein de la jet-set parisienne, où les amitiés et les amours se font et se défont aux grés des jeux d’alliance, d’influence et de pouvoir.

 

Les mondains d’hier ont été remplacés par les influenceurs qui se mettent en scène à coups d’images et de bribes de conversations volées ou de coups tordus. Les deux courtisans, Rémi JOHNSEN et Valérian BEHAR BONNET, interprètent à merveille cette jeunesse dorée superficielle, où les moqueries et ragots vont bon train, dans les salons parisiens. Spectateur dégoûté de toutes ces mascarades et tromperies, Alceste, le Misanthrope, ne croit plus dans le genre humain. Il est dégoûté par l’hypocrisie de ses proches. Il ne voit partout « qu’imposture, intérêt, trahison, fourberie ». L’indulgence est difficile lorsqu’on a l’honnêteté de dire les choses même lorsque celles-ci sont désagréables. Comme la scène jouée par LE DOUAREC où il tente de quémander l’amitié d’Alceste en lui déclamant une chanson douloureuse aux tympans.

Pourtant dans son rigorisme, il tombe amoureux de la pétillante Célimène, interprété par l’étonnante Jeanne PAJON, insaisissable, aérienne, frivole et pleine de vie.

 

Le Misanthrope est une comédie moderne, témoin d’époques où le vice atteint les âmes complaisantes, où l’ère des faux culs est célébrée et les artifices exigés

A noter que dans cette pièce revisitée par LE DOUAREC, le smartphone devient un personnage presque à part entière. Dans certaines scènes il interrompt par sa sonnerie un début de baiser et de confidences. Il est aussi le réceptacle des contorsions narcissiques d’un courtisan amoureux de son nombril. Il sera également l’élément perturbateur et la source du conflit entre ses ami.e.s et Alceste.

Au final, le mot du Misanthrope « je veux qu’on soit sincère et qu’on fasse preuve d’honneur » résonne comme un glas dans un milieu parisien où l’amitié désintéressée et authentique est utopique. Si « être franc et sincère » est son plus grand talent, on comprend aisément pourquoi nombre de femmes et hommes ont choisi de se « retirer du commerce des hommes » !

 

 

La pièce Le Misanthrope de Thomas LE DOUAREC, 
se jouera également cet été au Festival d’Avignon 
du 7 au 26 juillet 2022
au Théâtre des Lucioles
10 rue du Rempart St-Lazare
84000 AVIGNON