Mascarade
L’enfant terrible du cinéma français, Nicolas Bedos, qui nous a fait rire pendant les Confinements, nous offre un jouissif pied de nez avec son film sulfureux Mascarade. Vilipendé par la presse, le film signe également le grand retour de la magistrale Isabelle ADJANI qu’on a pu voir dernièrement dans la série de France 2, Diane de Poitiers.
Par Estelle GUEÏ
Une satire sociétale
Selon le dictionnaire français, le terme « Mascarade » fait référence à des participants masqués, ou à des personnes déguisées de façons ridicules ou bizarres. Le nouvel opus de Nicolas BEDOS, largement vilipendé par la presse, signe à la fois le grand retour d’Isabelle ADJANI au cinéma et une analyse de la bourgeoisie de province au vitriol.
Les protagonistes évoluent dans un décor azuréen, qu’on imagine être des villes comme Canne, Antibes, Nice ou Saint-Trop. Piscines, Voiliers, yachts…tous les clichés de la French-Riviera y passent. Des hommes bedonnants ou vieux beaux bronzés, cigares aux lèvres, avec de jolies poupées en quête du money dream. Si le cliché est commun, BEDOS entraîne le spectateur dans une autre lecture, en paraphant la phrase de Suzanne CERVERA : « La Côte d’Azur est un endroit lumineux peuplé de personnes sombres. » Dans ce théâtre à ciel ouvert, les turpitudes de l’être humain passent à la moulinette du regard critique, acerbe du réalisateur. Justement l’ordinaire, ne lui plaît guère. Loin des clichés, il nous entraîne avec psychologie et finesse derrière les dialogues en apparences violents : « Petite pute, que fais-tu ? Je viens de t’acheter…rigole un peu s’il te plait ! »
Des phrases acerbes, lancées par des personnages désabusés, englués dans leurs mensonges, jeux de postures et vies montées de toutes pièces.
Ce film dénonce la vision puérile du luxe rimant avec « corvette et femme refaite » et la notion d’égalité des sexes.
En effet, il est intéressant de constater que le terme « pute » revient régulièrement dans les dialogues, aussi bien pour désigner des femmes que des hommes. A l’image de cette magnifique apostrophe lancée par Adjani à son gigolo, Adrien, interprété par un Niney à la limite du benêt : « Il est ou cette pute ? »
Dans le film Mascarade, la parité passe par la sexualité !
Il est évident que BEDOS s’en est donné à cœur joie dans l’autodérision, l’absurde et le trash, pour dépeindre une satire moderne de la société Azuréenne (même française en générale), où : « Les très riches crèvent d’ennuie, les riches font semblants d’être très riches et les autres crèvent de jalousie ! »
Dans ce joyeux théâtre latin, où le libertinage va bon train, 6 personnages se distinguent : Margot (Marine VACHT), Adrien (Pierre NINEY), Martha (Isabelle ADJANI), Simon (François CLUZET), Jeanne (Laura MORANTE) et Carole (Emmanuelle DEVOS).
Les autres seconds rôles servent de témoins mettant encore plus en abyme les situations ubuesques vécues par les différents protagonistes.
BEDOS nous surprend et arrive même timidement à corser le jeu. En effet, au début on pense découvrir simplement une comédie, une mascarade, qui va gentiment nous faire rigoler, avec sa galerie de personnages hauts en couleurs, où les traits de caractères les plus lâches, grotesques, vulgaires, intéressés et misogynes, sont dévoilés, dans un décor paradisiaque. Or, à partir de la moitié du film, le spectateur plonge sans crier gare dans une histoire d’amour qui finit en un thriller psychologique.
Nous sommes alors happés dans une série de rebondissements, où certains personnages se révèlent être à la limite du sociopathe! Sans spoiler le film, j’ai été très surprise par le déroulé de l’action. Contrairement à ce que j’ai lu dans la presse, avant de le voir, sa durée (2H45) est parfaitement justifiée. Au contraire, la mécanique de l’intrigue se déroule en mouvement. La psychologie des personnages évolue avec cohérence et les dialogues fidèles à la vraie vie rendent les personnages encore plus accessibles, attachants malgré leurs travers.
Entre les lignes, on devine que BEDOS a dû se régaler à observer ses contemporains dans les milieux artistique et affairiste parisien et azuréen. En effet, les différentes strates de la société française y sont bien décrites, même si on peut lui reprocher le manque de diversité ethnique. Sociologiquement, cela pourrait s’expliquer par le fait qu’il s’agisse d’une satire sociétale de la bourgeoisie de province, entre aristos, notables, anciennes vedettes déchues et wanna be. En outre abordant le thème de la prostitution de luxe (l’escorting), BEDOS ne tombe pas dans l’écueil vulgaire de la pute Russe ou Nigériane, un cliché qui aurait été bien trop ordinaire.
Film féministe engagé
La revanche des femmes se fait sentir tout le long du film. Les héroïnes sont ces femmes qui prennent leurs destins en mains. A l’image de cette jeune femme, Margot, qui a décidé pour ne pas « perdre son temps » de louer son temps et son corps, à de riches hommes d’affaires. Ou encore, Jeanne, qui s’est lancée dans l’entreprenariat en tant que restauratrice et qui du jour au lendemain s’est faite jetée de son affaire par son compagnon. Des destins de femmes brisées qui rebondissent malgré tout, en se réalisant dans leurs projets, sans être assujetties aux hommes.
BEDOS a su capter la notion de femme moderne qui impulse son destin
Chacune de ces femmes ont pris des risques, se sont sacrifiées et ont été abusées par les hommes. Mentalement ou physiquement. On pense notamment à la sortie d’ADJANI sur ses « 25 ans à se faire vomir » alors que son gigolo assimile sa réussite à de la chance sans prendre en compte la notion de travail et d’engagement. « Il fait partie de ces gens qui aiment les belles choses, mais qui ne font rien pour se les offrir » comme le soulignera Charles BERLING devant le juge.
A travers ces échanges parfois très crûs, on devine une autre lecture : la charge mentale des femmes subies par les hommes au fil des générations. Ce film redonne le pouvoir aux femmes. Elles n’ont plus le statut d’opprimées, de victimes, mais de leaders, décideuses de leurs destins. L’une des scènes les plus représentatives de cette liberté sexuelle retrouvée est celle où Margot prend le volant et ordonne à Adrien, désarçonné, de lui faire un cuni dans la Jaguar. Pour toute réponse elle aura un : « D’accord vous êtes folle ! » La folie. L’endroit où les hommes misogynes préfèrent ranger les femmes qui les dérangent dans leur virilité. Autrefois cette mentalité menait certaines épouses à se faire interner contre leur gré par leurs époux !
Le film de BEDOS nous montre combien les femmes sont devenues plus fortes et encaissent mieux que les hommes. On pense notamment à la scène où Simon séparé de son épouse après avoir cédé aux démons de minuit avec la jeune Margot, observe caché derrière la baie vitrée de leur maison, sa femme, Carole. Celle-ci est seule dans sa cuisine, savourant un verre de vin rouge. Elle écoute, heureuse, une musique italienne.
Loin de se lamenter, sous la plume de BEDOS la femme parait forte, indestructible, indépendante et moderne.
Un modèle de résilience. Les conventions et codes sont cassés, comme la symbolique des cheveux coupés de Margot ou le fait qu’elle prenne l’initiative de la demande en mariage auprès de Simon.
Dans Mascarade, les hommes sont les nouvelles petites putes et non l’inverse. Les hommes « travaillent à réaliser le rêve » de leurs petites-amies, leur vénalité, peur de l’accomplissement et leur lâcheté apparaissent sans fard.
Le Grand retour d’ADJANI
Actrice phare des années 80’s, Isabelle ADJANI a ému des générations de spectateurs et spectatrices. Ses films cultes (La Reine Margot, Possession, l’Été Meurtrier) sont des classiques du cinéma français.
Aussi BEDOS signe le retour de la magistrale et flamboyante Isabelle ADJANI.
Les clins d’œil à sa foisonnante carrière cinématographique et musicale, sont subtils et plein d’humour. Notamment la référence à son tube « La Piscine » où elle tombe dans l’eau. Ou encore ce moment où Isabelle ADJANI chante près d’un piano, dans une robe à paillettes rouge et affublée d’un accessoire de mode roux, de sa voix suave, elle souligne sa nature passionnée et différente : « comme je ne suis que passion, je le dis sans prétention, je connais bien la chanson : il est mignon ! »
Il y a une forme de maladresse touchante dans sa façon d’aimer Adrien qu’elle nomme « mon merveilleux compagnon » tout comme elle aurait pu dire : « mon meilleur ami sur terre ». Quelle mascarade ! Au moment où elle tombe le masque, commence à éprouver des sentiments vrais pour son gigolo de compagnon, c’est là que la mascarade prend tout son sens : tout n’était que calculs de la part de Lucas !
Bref, BEDOS nous emmène dans un formidable jeu de dupes ou bal de faux-culs, entremêlé de flash-back, de mise en abîme du scénario, de rebondissements désopilants, le tout rondement mené. Les 2h45 défilent trés rapidement, contrairement à ce que la critique a pu laisser entendre, Mascarade n’est pas un film trop long. Bien au contraire, pour comprendre la psychologie des personnages, leurs démons intérieurs, leurs histoires et leurs velléités, cela prend du temps. Il ne s’agit pas d’une comédie d’une heure et demie contrairement à ce qu’on pourrait imaginer au début. Le déroulé des actions est rythmé, cassé, tout comme la chronologie des faits qui prend des libertés avec la narration.
On sent que le réalisateur a pris plaisir à jouer avec sa galerie de personnages, comme un marionnettiste, et que derrière se cache un dramaturge amusé par la nature humaine, sa complexité, ses incohérences.
Enfin, il est intéressant de souligner que le film Mascarade ne se regarde pas avec un regard académique, snob ou avec une vision étriquée. C’est un film qui casse les codes et nous interroge sur les brumes de mensonges qui entourent nos vies.
Et n’est-ce pas ainsi ? La vie après tout, n’est-elle pas une incroyable mascarade ????