Paris 1874
31 Peintres affranchis des règles et de la bien-pensance, vont marquer l’Histoire de l’Art de leur empreinte. Il y a 150 ans se montait à Paris, le 15 avril 1874, la 1ère exposition Impressionniste, réunissant des noms restés dans la postérité : Renoir, Degas, Monet, Morisot, Cassatt, Pissarro, Sisley ou encore Cézanne. En septembre 2024, l’expo Paris 1874, leur rendra hommage.
Par Estelle GUEÏ
Qui sont les peintres Impressionnistes ?
Tout commença en 1874, sur un jeu de mot ironique du critique d’art, Louis LEROY, qui observant le tableau de Claude MONET, Impression, soleil levant fustige l’aspect inachevé de son œuvre d’art aux couleurs claires et vibrantes à la fois. Cette critique initialement péjorative, donnera naissance à un nouveau courant artistique : la peinture impressionniste ! Seul Degas, n’aura de cesse de rejeter cette appellation, contrairement à ses comparses Cézanne, Berthe Morisot, Edouard Manet, Renoir ou Bazille, entre autres.
Pour comprendre la richesse et la témérité de ce mouvement, qui à l’époque fut qualifié de rebelle, il est essentiel de se replonger dans le contexte historique. Retour en arrière. Nous sommes plongés sous le second Empire. Napoléon III est au pouvoir. La France est en pleine métamorphose, notamment Paris avec les travaux du baron Haussmann, hissant la capitale dans l’ère industrielle.
C’est dans ce rythme de modernisation accélérée que l’Exposition universelle de 1867 a lieu sur le Champs-de-Mars, véritable vitrine de la civilisation industrielle, dont l’art est le témoin.
Notamment les jeunes Impressionnistes, qui font le choix de la modernité, en représentant dans leurs peintures l’expansion des transports ferroviaires qui leur permet de quitter Paris (Le Pont du chemin de fer, Argenteuil, Monet) pour pique-niquer à la campagne ou faire du bateau au bord de la mer (La Plage de Trouville, Boudin). Le mouvement Impressionniste marque aussi l’arrivée de l’électricité, les jeunes peintres impressionnistes délaissent le petit-Paris pour Déjeuner sur l’herbe (Monet) ou méditer, comme Jean-Baptiste COROT, entre les sillons de La Charrette, Souvenir de Marcoussis.
Dans une société en pleine mutation, le mouvement Impressionniste prend alors racine. L’art témoigne des formidables métamorphoses du pays, où l’industrie accomplit des miracles aussi bien dans les loisirs, que dans l’intimité des familles de la bourgeoisie citadine. L’élan économique est synonyme de culture, de raffinement et d’haussmannisation de Paris. Des nouvelles valeurs émergent où l’esprit révolutionnaire agite la bourgeoisie sage, mais agitée de liaisons sentimentales, les jeunes Impressionnistes au début sont stigmatisés par une société moralisatrice et édificatrice.
Bien que les peintres Impressionnistes aient étudié les grands maîtres classiques nés dans un autre siècle, leurs œuvres ne trouvent pas l’écho des institutions et ne sont pas exposées à l’Exposition universelle. Loin de se formaliser, un petit groupe de jeunes peintres décident d’exposer en marge de l’événement officiel en créant le Salon des refusés.
C’est dans un parfum de scandale qu’Edouard Manet exposera dans un pavillon indépendant une cinquantaine de toiles, dont Le déjeuner sur l’herbe et Olympia, qui lui valurent un flot de critiques.
Le groupe d’Impressionnistes se constitue et se renforce en même temps que l’estampe japonaise fait son apparition lors de l’Exposition universelle de 1855. Ils sont prêts à imposer leurs peintures en dépit des obstacles érigés par le jury du Salon et les institutions. Le 15 avril 1874, la 1ère expo de la Société anonyme coopérative des artistes est inaugurée au 35 boulevard des Capucines, dans l’ancien atelier du photographe Nadar. Le groupe composite mêle pinceaux et plumes littéraires, comme Zola, très ami avec Cézanne. Des amitiés littéraires favorables au mouvement Impressionniste naissent. L’auteur Paul ALEXIS, le critique d’art, Philippe BURTY, le frère aîné de Claude MONET, Léon MONET, industriel, peintre et collectionneur d’art, entourent le noyau dur des peintres tels que Berthe Morisot, Sisley, Renoir, Degas, Bazille, Pissarro, Boudin, Lépine, Bonnard, Van Gogh, Gonzales, Monet ou encore Paul Gauguin !
Tous ont « la volonté de peindre des sujets modernes dans une facture neuve » et font fi du « refus de la sanction d’un jury auquel ils ne reconnaissent aucune autorité ».
Le marché de l’art n’est pas encore prêt à accueillir ce nouveau mouvement très hétéroclite. Des collectionneurs, amateurs d’art et marchands d’art, se distinguent comme Henry LEROLLE, Henri ROUART, Paul DURAND-RUEL ou encore Georges PETIT. Cependant, leurs techniques commerciales consistant à exposer dans un espace privé, vendre, puis rencontrer des amateurs d’art, découragent certains artistes Impressionnistes, qui décident de faire cavalier seul. Alors que Cézanne expose seulement à deux reprises avec ses amis, seul PISSARRO soutiendra les 8 expositions. Même l’instigateur du mouvement, MONET, privilégiera ses expositions personnelles pour établir définitivement sa réputation. Des sourdes rivalités naissent entre les artistes, dénaturant peu à peu le mouvement. Au bout de onze ans, les peintres Impressionnistes se séparent.
Quel est l’apport de la peinture Impressionniste ?
Par le choix d’une peinture claire et synthétique, l’Impressionnisme confère une nouvelle approche de l’espace, du dessin et de la couleur. Les principes de la perspective classique sont oubliés pour privilégier des horizons élevés, les effets de surplomb, et la perspective axiale pour traduire un sentiment de liberté et de « chose déjà vue ». Certains tableaux rappellent même le principe de la photographie. Par les codes bouleversés, les peintres Impressionnistes réinventent le paysage !
La lumière joue un rôle essentiel. Tandis que DEGAS s’intéresse aux petites danseuses de l’Opéra, MONET pousse à l’extrême son travail sur la lumière. Amoureux de la nature et de l’architecture, il peindra pendant des heures et des jours, des séries consacrées à La Cathédrale de Rouen, à différentes saisons et moments de la journée. Le but est de montrer « une série d’effets différents et la façon dont le soleil décline si vite ». Les séries de Monet constituent « une démonstration artistique extraordinairement victorieuse de l’impressionnisme ».
Pour comprendre l’Impressionnisme, il faut l’imaginer comme une musique intérieure. Un point de rencontre entre la société, nos contemporains et notre vie intérieure, au-delà du temps, provoquant en nous des émotions, des sentiments, universels.
Le paysage et l’humain sont au cœur de la peinture Impressionniste. Berthe MORISOT sublime ses créations grâce aux couleurs pastel pour « rendre toute la tendresse d’un moment ». L’épouse d’Eugène MANET n’utilise qu’un nombre restreint de couleurs, réparties en touches fluides et légères sur la toile. Ses œuvres distillent encore aujourd’hui un parfum de paradis envolé. A l’image de cette huile sur toile, exposée au National Gallery of Art de Washington, mettant en scène le fils de son ami, Claude, Jean Monet dans son berceau.
🖼️ 🎨 Exposition Paris 1874 organisée par les musées d’Orsay, de l’Orangerie et la National Gallery of Art, Washington, où elle sera présentée du 8 septembre 2024 au 20 janvier 2025.