François-Loïs Gautier : Maresia
Brume Brésilienne
Quel singulier voyage que ce 1er et dernier roman plein de souffle, de relief et d’intelligence, Maresia, écrit par François-Loïs GAUTIER. Jeune auteur, entré depuis peu dans la postérité. Sa plume nerveuse et poétique décrit les liens de l’amitié, la nature humaine, la société parisienne et un Brésil mystifié. Que cache Maresia, ce nuage trouble flottant au-dessus des vagues du Sud de l’Atlantique ? Comment s’extirper de la bassesse humaine, quand les sirènes du succès apparaissent ou que la médiocrité de l’existence, nous entraîne dans l’inertie ?
Par Estelle GUEÏ
« Je n’ai pas toujours été un enculé »
Telle une mandale, l’incipit du roman Maresia, donne le ton : « Je n’ai pas toujours été un enculé : j’ai d’abord été un lâche. » Ce constat lapidaire de l’anti-héros, Saul Pessoa, crée sous la plume de François-Loïs GAUTIER, signe une aventure haletante et pleine de suspens, qui nous fait voyager du métro parisien, aux tours de la Défense, aux plages ensoleillées du Brésil.
Entre caïpirinhas, surf, jolies filles à la peau dorée et favelas, François-Loïs dépeint des environnements où évoluent des personnages troubles à la psychologie complexe. La nature humaine apparaît alors dans toute sa dimension la plus sombre….
C’est ainsi que le lecteur suit l’ascension de Saul Pessoa, avocat médiocre travaillant pour le cabinet Perrin & Associés, à La Défense. Complexé et plein de morgue depuis la rupture avec sa petite-amie, Saul rêve de pouvoir, de succès auprès des femmes et de réussite sociale.
Soudain, son destin bascule, lorsque ressurgit son ami d’enfance, le charismatique Martim Von Manstein, après une brouille de 3 ans.Issu d’une riche famille allemande émigrée au Brésil dans le petit village de Libânia, havre de paix pas encore corrompu par les griffes des industriels.
Martim, voue sa vie et son héritage à protéger les 10 000 âmes vivant dans le village de ses ancêtres. Véritable mission de vie, l’homme un brin philanthrope bataille ferme face à la corruption des hommes d’affaires, des industriels de la ville et des promoteurs immobiliers qui veulent mettre le grappin sur ses terrains familiaux.
Lorsque Martim ressurgit dans la vie de Saul, c’est un billet sans retour pour le Brésil qui se profile.
Saul découvre alors les ruelles colorées et les plages brésiliennes, le fourmillement bruyant des favelas, mais aussi les trafics et la corruption.
Des tensions sourdent, montent autour de projets immobiliers, aux opportunités de business faramineuses. Tiraillé entre son amitié, le marasme professionnel dans lequel il se noie à Paris, son auto-sabotage, ses antidépresseurs qui lui font prendre du poids et le rendent chauve avant l’âge, le lecteur est happé comme dans un film, dans la quête d’ascension sociale du héros. François-Loïs nous entraîne avec maestria dans la transformation physique et mentale du héros.
Metro-boulot-dodo : welcome in Paris !
10 ans ont été nécessaires à François-Loïs GAUTIER pour écrire son 1er roman, Maresia, Sélection Prix Révélation d’automne de la SGDL et 1ère sélection du Prix Jean-René Huguenin. Une décennie où le jeune homme a vécu mille et une vies. Tour à tour avocat, agent immobilier, barman dans un hôtel de plage au Brésil…De son expatriation, le romancier retiendra : « un décor au contraste saisissant entre paradis apparent et la violence qui y sévit ». Dans ce décor trouble, François-Loïs constatera la force des émotions exacerbées. De quoi alimenter son projet littéraire….
Extra-lucide, François-Loïs décrit une nature humaine, tantôt attachante, cabossée ou horripilante. La description de son héros témoigne de la volonté de l’auteur d’être au plus près d’une vérité nuancée, loin du mode binaire. Contrastée : « Je suis un de ces gars torturés, épuisants mais irréprochables, probablement touchants mais sans réel ami, pas méchants mais pas simples : de ceux qui pèsent de tout leur poids sur leurs proches, s’ils en ont. De ceux qu’on invite peu : un gars parfait pour refaire le monde, mais parfaitement détestable si le monde vous convient. »
S’extirpant du rythme métro-boulot-dodo, François-Loïs joue avec les temporalités, comme au cinéma, en utilisant la méthode du flashback, pour nous transporter vers un ailleurs aux multiples possibilités. On se demande si dans cet « ailleurs » (le Brésil) son héros se sortira de son faux-pas ? Si le cambriolage dont il est victime tournera en assassinat ou pas ? Qui sont ces 2 autres personnes au sol ? Que s’est-il passé cette nuit pour les 3 personnes étendues sur le sol froid de la cuisine, visages contre terre, recevant de violents coups de crosse et coups de pieds de leurs agresseurs ?
Avec un redoutable sens de l’analyse, François-Loïs joue avec nos nerfs, utilisant une écriture très visuelle, dark et poétique, comme celle utilisée pour un scénario de film.
A bout de souffle, l’auteur ne s’encombre pas de « mots-valises », délaisse la mode du franglais, qui rend « les mots vides de sens», pour se concentrer sur l’essentiel : l’analyse de la psyché humaine !
Une plume trempée dans l’encrier du vitriol, pour mieux dépeindre la noirceur de l’humain ou sublimer sa beauté.
Son génie littéraire précoce donne des descriptions calibrées de la vie parisienne : « La Défense, trois millions de mètres carrés y concentrent, selon le point de vue, le plus gros quartier d’affaires ou le plus grand cimetière d’espoirs d’Europe occidentale » ou encore cette vision des gens dans le métro parisien se rendant au taff : « Un vieillard de trente ans au crâne dégarni, aux épaules étroites, qui me fait la gueule ».
Les observations de l’auteur semblent se mêler à celles du narrateur. Elles font mouche, et méritent réflexion sur l’état de notre société : « Une industrie de la mode qui n’en finit plus de nous faire bouffer du mauvais tissu thermocollé, ces costumes bleu nuit à revers ultrafin des jeunes qui ont appris l’estime de soi dans le « feel good workshop » d’une école de commerce de province »
Perpétuellement en mouvement, les pensées du narrateur forment un faisceau d’analyses stimulées par le regard caustique qu’il porte sur ses contemporains, sur ces « capitales-mondes » qui broient leurs habitants, le capitalisme, la quête de sens. Il fustige « l’esprit bourgeois : la culture du confort, la sécurité, le droit » alors que lui-même en est la première victime. On s’interroge alors :
Comment Saul s’adaptera à la culture brésilienne ? Éteindra-t-il enfin son cerveau pour allumer son esprit ? Libérera-t-il un pan de son cœur ? Ou gardera-t-il ce « manteau de poussière » ?
Un ticket pour le Brésil et un aller sans retour pour les montagnes russes !
Maresia est un roman moderne qui aborde différents thèmes comme la masculinité toxique, la corruption, l’amitié, la réussite sociale, mais aussi l’amour.
Le sentiment amoureux est décrypté sous la forme de la conquête sexuelle et entrepreneuriale du continent sud-américain. Cela donne dans la seconde partie du roman, lorsque le héros quitte Paris pour le Brésil, des scènes qui puent « le sexe et la testostérone », avec esprit, entre les deux amis, Saul et Martim :
« Nous nous effaçons un instant, collés au mur, pour laisser le passage à une femme délicate, un petit caniche tenu en laisse trottinant après elle, probablement hypnotisé comme nous par son bumbum sphérique.
– Je commence à comprendre la passion des astronomes pour les corps célestes, plaisanté-je en sourdine.
– Pardon ?
– Je suis fasciné par la victoire complète de tes compatriotes sur la gravité !
J’accompagne mes mots d’un coup de menton vers le derrière de la brunette qui dévale l’étroit escalier que nous venons de monter. Martim éclate de rire la belle se retourne, elle a probablement saisi que nous parlions d’elle. Une Parisienne nous fusillerait du regard ; celle-ci nous défie d’un battement de cils et s’éloigne en se cambrant davantage »
Dans ce décor paradisiaque, peuplé de femmes fatales, brunes, à la peau caramel, charnelles et suaves ; dans un village où tout paraît neuf et beau, alors que « tout est mort dedans », Maresia, est difficile à lire, sans frémir !
Le Brésil, c’est aussi une culture ésotérique, où la nature tient un rôle majeur. On découvre ainsi l’art des potions concoctées dans les favelas par les grands-mères, la jurema, substance hallucinogène des chamans amazoniens.
On repense alors au cri du cœur de Martim, ce séducteur à la tête d’angelot, philanthrope, qui veut protéger son village des promoteurs immobiliers et des industriels sans foi ni loi : « C’est vraiment la beauté qui sauvera le monde ! »
L’auteur en profite aussi pour nous interroger sur cette notion si subtile de « se battre pour des projets meilleurs pour l’âme »
« Il y aura toujours du François-Lois en nous »
Rencontré en novembre dernier à La Foire du Livre de Brive, François-Loïs se savait déjà condamné par la maladie qu’il a tenté vaillamment de combattre, en conservant son esprit positif, son regard rêveur sur la vie.
Quel bonheur ce fut de le rencontrer, même brièvement, lors d’une séance de dédicaces, puis à la soirée des éditeurs, au Cardinal, à Brive, et d’échanger avec lui poèmes, bons mots d’esprit, souvenirs de voyages et analyses affûtées de la société. Fan d’alexandrins, François-Lois avait résidé tout comme moi, dans le 18ème, « entre la rue Lepic et la rue du Poteau ».
Son 1er et dernier roman restera un enchantement, à l’image de ce troublant nuage flottant au-dessus des vagues, la maresia.
Comme l’a écrit son amie et éditrice de la maison du Rocher, Julie DANIEL : «Il y aura toujours du François-Loïs en nous». Une belle âme nous a quittée…Une prière muette et un article post-mortem pour rendre hommage à François-Loïs GAUTIER, qui est parti beaucoup trop tôt, le 21 février 2024…
Bon voyage gringo !
Maresia
De François-Loïs GAUTIER
Aux éditions du Rocher
361 Pages
19 Euros